Détermination du mouvement du centre de masse de la Terre par géodésie spatiale et comparaison avec les données climatiques

Florence Bouille, Jean-Michel Lemoine, Sylvain Loyer, Jean-Francois Crétaux

I. Le Géocentre vu par les Géodésiens.

Dans le processus de réduction des observations satellites il est nécessaire de choisir un référentiel de référence ou de travail dans lequel on exprime l’ensemble des coordonnées des stations de mesure. Jusqu’à il y a quelques années, l’origine de ce référentiel de référence était définie comme le centre de gravité de la Terre ou centre de masse et on considérait implicitement que les coordonnées des stations étaient exprimées dans ce référentiel. Avec l’augmentation de la précision des observations et des modèles il est apparu que l’on pouvait détecter au niveau sub-centimétrique des mouvements globaux de translation du réseau des stations. Ces mouvements observables par différentes techniques de mesure sont appelés par les géodésiens : Mouvement du Géocentre. Après avoir précisé les différentes définitions et les différentes méthodes de calcul pour obtenir ces mouvements, nous présenterons quelques résultats obtenus par les techniques de mesure Laser, Doris, ou par combinaison de plusieurs systèmes de mesure.

I.1. Définitions :

On se place ici du point de vue de la réduction des observations :

Les problèmes liés au géocentre apparaissent quand l’origine du référentiel dans lequel sont exprimées les coordonnées des stations de poursuite ne coïncide par avec le centre de masse réel de la Terre. En orbitographie, on compare grâce au mesures entre les stations et les satellites une orbite calculée à partir de modèles avec l’orbite réelle suivie par le satellite. Les écarts entre ces deux orbites sont interprétés en termes de variations des paramètres des modèles. L’origine du référentiel dans lequel on exprime l’orbite calculée est également l’origine du référentiel dans lequel sont exprimées les coordonnées des stations. Cette origine est l’origine du référentiel de travail ou encore l’origine du référentiel d’intégration.

L’origine de ce référentiel est a priori différente du centre de masse qui occupe, lui, un des foyers de l’orbite réelle.

Tout écart en translation entre l’orbite réelle et l’orbite calculée sera interprété en terme d’écart entre les deux origines. On parle de mouvement du centre de masse quand on considère que l’origine liée aux stations (ou centre de figure) est l’origine de référence et on parle au contraire de mouvement du centre de figure quand on considère que le centre de gravité ou centre de masse est l’origine de référence. Ces deux mouvements ne coexistent évidemment pas simultanément. Le mouvement du centre de masse est l’opposé du mouvement du centre de figure.

I.2 Différentes méthodes de détermination presque équivalentes.

  1. Calcul à partir des coordonnées de stations obtenues sur une certaine période :
  2. Dans un premier temps, on détermine les variations des coordonnées de stations qui absorbent les écarts observés entre l’orbite réelle et l’orbite calculée. Les positions moyennes des stations définissent le jeu de coordonnées de référence. On détermine ensuite pour chaque réalisation d’un jeu de coordonnées les transformations à appliquer pour se ramener au référentiel moyen.

     

  3. Calcul sur une certaine période d’observation d’un mouvement global du réseau :
  4. Dans ce cas on interprète les écarts en translation entre l’orbite réelle et l’orbite calculée directement en terme de variations globales en translation des coordonnées des stations. L’intérêt de cette méthode par rapport à la précédente est de conserver les corrélations entre les translations globales et les autres paramètres estimés dans le processus de réduction des observations.

  5. Calcul sur une certaine période des termes de degré 1 du champ de gravité :

Enfin , dans ce cas, on interprète les écarts en termes de variations des coefficients de degré 1 du champ de gravité. Le référentiel d’intégration perd alors son caractère inertiel et il est nécessaire d’introduire dans le calcul d’orbite la force d’entraînement due aux termes tesséraux de degré 1, à savoir :

Avec cette précaution, les deuxième et troisième méthodes sont totalement équivalentes.

 

 

II. Le Géocentre vu par les Géophysiciens :

La répartition des masses du système Terre est globalement variable au cours du temps en réponse à de nombreux phénomènes naturels à différentes échelles spatiales et temporelles. Ces variations de masse à l'intérieur de la Terre et dans les enveloppes fluides qui l'entourent, impliquent des effets sur la position de son centre de masse par rapport à une référence fixe. La composante temporelle la plus importante de ces redistributions de masse est annuelle mais des périodes interannuelles, interdécennales et voire séculaires existent comme pour la variation de l'axe de rotation de la Terre. Aux échelles saisonnières et interannuelles, les phénomènes climatiques occasionnent des variations du centre de masse de la Terre d’amplitude sub-centimétriques (jusqu'à 5 mm/an pour certaines contributions). Les résultats " géophysiques " donnés dans cette étude concernent seulement les variations annuelles du mouvement du centre de masse. L'accès à ces variations est envisageable grâce à l'étude directe de climatologies constituées à partir de données in-situ et/ou de modèles physiques. Les redistributions de masses responsables d’un mouvement annuel du centre de masse de la Terre par rapport à une référence fixe sont attribuées aux phénomènes " géophysiques " suivants :

Des redistributions de masses à l'échelle saisonnière induisent des variations des coefficients du développement en harmoniques sphériques du potentiel terrestre. Notamment, les variations des coefficients de degré 1 du champ de gravité vont permettre d’accéder aux variations des coordonnées du centre de masse de la Terre exprimées dans un référentiel terrestre fixe.

II.1. Les données :

Pour les redistributions globales de masses d'air et d'eau (continentales et océaniques) qui, à l'échelle de temps annuel, ont lieu dans les enveloppes de surface de la Terre, différentes climatologies existantes associées aux effets de charge de la pression atmosphérique (ECMWF, NCEP), de l'humidité dans les sols (climatologie de Huang et al., climatologie de Willmott et al.), de la couverture neigeuse (ISLSCP, Willmott et al.), et des eaux océaniques (données de hauteur de mer de l'altimètre installé sur le satellite TOPEX/POSEIDON ou sorties du modèle de circulation océanique globale POCM) ont été utilisées.

Les grilles de données associées aux climatologies ont été décomposées en harmoniques sphériques et reliées aux variations des coefficients du champ de gravité.

La somme des différentes contributions géophysiques donne une estimation des variations du mouvement du centre de masse de la Terre.

III. Résultats des comparaisons : climatologies / Géodésie spatiale

Tableau 1. Variations annuelles du mouvement du géocentre

(Amplitude (mm), Phase (jour de l’année du signal maximum))

 

 

Contributions Climatiques

Xg

Yg

Zg

1. Press Atm ECMWF

(0.36, 340)

(1.33, 1)

(0.75, 335)

2. Press Atm NCEP

0.37, 337)

(1.31, 1)

(0.84, 340)

3. Eaux continentales-Huang et al, 1996

(0.5, 99)

(1.1, 269)

(0.65, 349)

4. Eaux continentales- Willmott et al, (1985)

(0.55, 85)

(0.36, 273)

(0.88, 111)

5 Press neige (ISLSCP)

(0.04, 120)

(0.1, 327)

(2.1, 34)

6. Press neige-Willmott et al, (1985)

(0.04, 88)

(0.1, 285)

(1.8, 60)

7. Masse océanique (OGCM)

(1.1, 11)

(0.1, 333)

(0.2, 235)

8. Masse océanique (T/P — effet stérique)

(1.3, 356)

(1.5, 49)

(1.4, 365)

9. Niveau moyen de la mer

(0.3, 80)

(0.1, 80)

(0.35, 80)

10. Contribution totale : 1+3+5+7+9

(1.59, 34)

(1.80, 326)

(3.11, 16)

11. Contribution totale : 1+3+5+8+9

(1.66, 16)

(2.38, 3)

(4.65, 12)

12. Contribution totale : Chen et al., (1999)

(2.38, 26)

(2, 365)

(4.1, 43)

Géodésie Spatiale

     

Solution grim5

(2.3, 48)

(3.4,300)

(7, 34)

Solution laser (Lageos-1 / Lageos-2)

(2.08, 48)

(1.96, 327)

(3.49, 43)

Solution doris (Topex / Poseidon)

(1.73, 66)

(6.82, 285)

(3.08, 337)

Solution laser (Topex / Poseidon)

(2.5, 59)

(5.7, 288)

(5.8, 15)

Solution laser (Chen et al., 1999)

(2.18, 60)

(3.2, 303)

(2.79, 46)

 

 

La partie supérieure du tableau récapitule les effets de chaque contribution climatique en terme de mouvement du centre de masse de la Terre, dans les 3 directions, exprimé en amplitude et en phase pour les effets saisonniers. La phase ici doit être comprise comme la date du maximum d’amplitude. La partie inférieure représente ces mêmes paramètres déterminés par les mesures de géodésie spatiale.

Les aspects importants qui ressortent de la partie supérieure du tableau sont les suivants :

C’est ce que l’on peut remarquer dans la partie inférieure du tableau.

5 solutions différentes sont consignées :

La première est une solution combinée multi-satellites, multi-techniques (une vingtaine de satellites et techniques LASER DORIS GPS).

La seconde calculée avec les données de poursuite laser sur les satellites Lageos 1 et Lageos 2 de 1993 à 1996, les 2 suivantes avec les données doris et laser sur Topex / Poseidon sur les années 1993 à 1998 et la dernière a qui est issue de Chen et al, (1999) est construite a partir de 4 ans de données laser sur Lageos 1 et Lageos 2 de 1993 à 1997.

Dans la direction X il y a d’une part une bonne cohérence entre les 5 solutions (avec un déphasage ne dépassant pas 20 jours) et d’autre part une bonne cohérence également avec les données climatiques avec toutefois un décalage d’environ 30 jours sur la phase.

Dans la direction Y les différentes sont plus nettes : les 2 solutions fondéés sur les données laser sur les satellites Lageos sont assez proches en phase plus éloignées en amplitude, mais il y a un important décalage avec les 2 solutions calculées avec le satellite Topex / Poseidon que ce soit avec les données DORIS ou avec les données Laser. Il est difficile dans l’immédiat de pouvoir tirer de quelconques conséquences de cet écart, notamment en amplitude ou on observe un facteur 2 à 3, mais on peut avancer l’hypothèse que le type d’orbite est en cause dans ces différences et non la technique de mesure elle même. En effet Topex / Poseidon se trouve à 1300 km d’altitude alors que les satellites Lageos sont à 6000 km. La phase quant à elle présente une variabilité selon les solution d’environ 40 jours, et semble être un peu en avance par rapport à la climatologie. Nous avons aussi tenté de déterminer le mouvement du centre de masse de la Terre avec les données DORIS sur les satellites SPOT, mais à 800 km d’altitude les erreurs dans la restitution d’orbite sont encore trop importantes pour ce type de calcul.

Enfin en Z on constate que les solutions laser sur Topex / Poseidon et grim5 s’écartent beaucoup des 3 autres qui elles sont assez proches, alors qu’en phase les 5 solutions présentent une variabilité d’environ 40 à 60 jours tout en étant relativement cohérente avec la climatologie (à 20-30 jours près).

IV En guise de conclusion

En résumé on peut étudier ce problème sous différentes facettes, vue de la climatologie et vue de la géodésie spatiale. On note qu’il y a des différences entre les modes de détermination, une variabilité due aux satellites mais aussi une variabilité due aux modèles climatiques qui diffèrent parfois fortement les uns des autres. C’est un problème encore entièrement ouvert car il faut pouvoir comprendre ces différences, mais en même temps on peut se féliciter des immenses progrès accomplis en quelques mois dans la convergence des différentes réalisations tant géophysiques que géodésiques. Lorsque cette étude sera un peu plus mûre, il deviendra très intéressant de se pencher sur les évolutions à quelques mois, inter-annuelles voire a long terme du mouvement du centre de masse de notre bonne vieille Terre.