Les surcharges océaniques

Muriel LLUBES et Nicolas FLORSCH

Centre Littoral De Géophysique

Université de La Rochelle

mllubes@univ-lr.fr nflorsch@univ-lr.fr

 

 

Définition

 

elles désignent le phénomène de déplacement d?un point de la surface terrestre sous l?action du poids des masses océaniques

elles désignent la variation de pesanteur due aux déplacements des masses océaniques, et comportent un terme d?attraction directe de ces masses et un terme associé à la redistribution des masses terrestres qui fait suite à la déformation géométrique

 

Calcul des surcharges

 

Dans un premier temps, on doit déterminer comment se déforme la Terre sous l?action d?une charge ponctuelle. Pour cela, on considère la Terre dans son ensemble et il faut résoudre l?équation de la déformation associée à l?équation de Poisson. Pour effectuer ce calcul, on utilise un formalisme en " nombre de Love " de charge qui consiste à chercher la déformation dans une base d?harmoniques sphériques. Ces nombres de Love sont obtenus par résolution numérique, pour un modèle de Terre donné (type PREM) d?un système différentiel " raide ". La recombinaison des contributions pour chaque degré d?harmonique permet alors le calcul de la " fonction de Green " qui n?est rien d?autre que la réponse de la Terre à la charge ponctuelle, en fonction de la distance angulaire. Elle tient compte de la rotation terrestre, ainsi que de paramètres physiques anélastiques et anisotropes du modèle de Terre.

 

Dans un deuxième temps, on calcule la déformation de la Terre et la variation locale du potentiel et du champ de pesanteur qui résultent de la marée océanique par convolution de la fonction de Green ad hoc avec la hauteur d?eau prise en compte à l?échelle planétaire. Ce stade du calcul nécessite un modèle de marée qui décrit, onde par onde, cette hauteur.

 

Le calcul des surcharges à toutes les échelles de temps nécessite la connaissance des hauteurs d?eau sur l?ensemble de la planète aux mêmes échelles. A l?heure actuelle, des données mondiales à toutes les échelles de temps ne sont pas disponibles et on se contente de modèles harmoniques aux fréquences des marées les plus significatives en terme d?amplitude.

 

 

Figure 1: exemple de fonction de Green (normalisée)

Les surcharges en zone littorale

 

C?est sur les littoraux où sévissent les plus grandes marées (littoral atlantique en Europe) que les surcharges produisent les effets les plus spectaculaires. En Bretagne, le mouvement vertical de la croûte dépasse la dizaine de centimètres au rythme des marées et le mouvement horizontal est supérieur au centimètre. En gravité, on atteint des variations allant jusqu'à 40 mGal crête à crête (1mGal=10-8m/s2). Il en résulte que toutes les mesures géodésiques de précision (géométriques et dynamiques) sont concernées par ce phénomène.

 

La Figure 2 ci-dessous montre le déplacement vertical, pour une somme de huit ondes, qui affecte la région bretonne lors d?une grande marée. Il s?agit ici d?un instantané : la croûte oscille, d?un mouvement presque périodique, d?Est en Ouest et de Nord en Sud, en fonction du déplacement des masses d?eau.

 

 

 

 

Figure 2:

déplacement vertical en mm, le 25 mars 1998 à 0h.

 

 

 

 

 

La non prise en compte des phénomènes de surcharge en géodésie, en particulier dans le rattachement de points de la croûte aux systèmes de références spatiaux, peut conduire à générer des pseudos bruits périodiques et/ou systématiques.

 

 

Méthodes expérimentales permettant l?étude des surcharges

 

On peut tout d?abord vouloir étudier les effets géométriques. De nombreuses techniques sont disponibles :

 

Pour les effets dynamiques, ce sont les gravimètres que l?on fait intervenir. On peut distinguer :

 

 

Intérêt de la gravimétrie pour l?étude des surcharges

 

A l?heure actuelle, c?est la gravimétrie qui fournit le meilleur signal pour l?étude expérimentale des surcharges, plus particulièrement des mouvements verticaux. En effet, les outils géométriques, principalement le GPS, sont affectés d?importantes erreurs de mesure (délais dans les temps de propagation des ondes dus à la vapeur d?eau contenue dans l?atmosphère). La gravimétrie apparaît ainsi comme un moyen de valider les progrès effectués dans d?autres protocoles de mesure.

 

L?utilisation de la gravimétrie est également directe pour la détermination du quasi-géoïde. Dans ce cadre, il convient, lors des mesures du champ de gravité, de réduire les observations des effets périodiques : il faut donc bien les connaître.

 

Intérêt de l?étude des surcharges pour l?élaboration des modèles de marée.

 

Les modèles de marée sont élaborés de manière particulièrement complexe. La plupart intègrent des calculs hydrodynamiques qui tiennent compte de la bathymétrie. Pour établir ces modèles et ajuster certains paramètres qui les décrivent, on applique les informations disponibles sur les hauteurs d?eau. Elles sont de deux types. En pleine mer, ce sont les données des satellites qui s?avèrent particulièrement utiles. Sur le littoral, les données marégraphiques fournissent des données très ponctuelles dans l?espace. La prise en compte de ces dernières, qui fait donc partie de l?étape dite d?assimilation, ne se fait pas sans approximation, car les phénomènes hydrodynamiques très locaux (effets d?estuaires etc.) sont difficiles à modéliser. Il en résulte des erreurs notables en zone littorale, entre le marégraphe et la pleine mer, en quelque sorte.

 

La gravimétrie possède un pouvoir intégrant qui la rend particulièrement attractive pour la phase d?assimilation. Les variations de g prédites sur le littoral à partir des modèles de marée devraient correspondre à celles mesurées. Or, il existe un écart de 20% entre la théorie et la mesure. Des travaux sont en cours, qui consistent d?une part à améliorer les modèles hydrodynamiques près des côtes et d?autre part à définir la manière d?assimiler les données gravimétriques dans les modèles de marée.

 

 

Intérêt de l?étude des surcharges pour la géodynamique interne.

 

La pesanteur est aussi sensible aux déplacements des masses internes. Elle est utilisée de longue date pour l?étude du noyau de la Terre, et la communauté est à la recherche active de modes d?oscillation de la graine, appelés modes de Slichter. Dans le cadre de ces études de dynamique interne, le signal de surcharge est considéré comme un signal parasite. Derrière la capacité du scientifique à calculer les effets de surcharge se cachent donc des enjeux considérables, puisque la séparation des contributions internes et externes permettra l?amélioration des rapports signal/bruit (surtout pour les signaux internes) et la mise en évidence des déplacements de masse à l?intérieur de la Terre. Un des aspects les plus excitant de ces recherches concerne les corrélations possibles entre les déplacements de masses et les signaux magnétiques transitoires qui siègent parfois dans le noyau.

 

Les campagnes expérimentales.

 

En France, deux campagnes dédiées à l?étude des surcharges ont eu lieu en 1998 et 1999 à Brest, en collaboration avec de nombreux organismes : SHOM, IGN, INSU, EOST, CERGA, ESGT. Elles ont permis l?enregistrement de signaux gravimétriques et

 

Figure 3: Comparaison entre la surcharge observée par le gravimètre absolu FG5 et la surcharge prédite, à Brest. L?écart entre la théorie et les mesures atteint 20%.

 

 

 

GPS qui sont actuellement exploités pour valider les modèles de surcharge. La Figure 3 confronte par exemple des données de gravimétrie absolue avec des prédictions. Les marées " solides " ont été déduites des mesures : le signal de surcharge est " pur ".

 

En Europe et de part le monde, de nombreux chercheurs étudient ces phénomènes. En Belgique, par exemple, l?Observatoire Royal a entrepris un vaste programme d?étude des surcharges sur le littoral atlantique (http://www.oma.be/KSB-ORB/). Deux de leurs gravimètres ont été confiés au CLDG pour effectuer des enregistrements sur le littoral atlantique français. En Suède, les chercheurs ont dû s?intéresser au phénomène car il perturbe les mesures géodésiques destinées à l?étude du rebond post glacière (http://www.oso.chalmers.se/~hgs/).

 

Enfin, les implications géodésiques des surcharges nécessitent leur étude pour l?évaluation de certains changements globaux comme les variations à long terme du niveau moyen des mers.