Les bourses de retour Marie Curie dans le 6ème
Programme-Cadre (return grants)
Le texte qui suit est une étude des bourses de réintégration, une
nouveauté du 6ème programme-cadre de la Commission européenne. Il n'y
a pas encore beaucoup de candidats, il est donc interessant de tirer
parti de ce programme.
Francoise Praderie
Correspondant Europe du LERMA (Observatoire de Paris)
Note CLORA 2004/44 : Les bourses de réintégration Marie Curie: 'L'amorce
d'un reverse brain drain?'.
Nature : Information générale Référence : 2004/44 Rubrique(s) :
Enseignement supérieur, formation, mobilité des étudiants et des
enseignants
Formation et mobilité des chercheurs
Publiée le : 23.02.2004 Auteur(s) : Patrick NAVATTE (UNIVERSITES/CPU)
Héléna RIPOCHE (UNIVERSITES/CPU)
Valable jusqu'au : 30.12.2004
Les bourses de réintégration : l'amorce d'un « reverse brain drain » ?
Selon la Commission, 85 000 chercheurs européens travaillent aux USA,
ce qui constitue un vivier considérable. Dans le but d'inciter les
meilleurs chercheurs séjournant à l'étranger à revenir travailler en
Europe, la Commission a mis en place dans le cadre du 6ème PCRDT des
primes dites de « réintégration » qui sont destinées à faciliter leur
insertion sur le marché européen. Elles se divisent en deux
catégories : les primes de réintégration européenne (ERG) et les
primes de réintégration internationale (IRG).
Les premières, les primes de réintégration européenne (ERG : European
Reintegration Grants) sont destinées à faciliter la réintégration des
chercheurs ayant bénéficié de bourses de mobilité Marie Curie dans un
laboratoire de leurs pays d'origine ou d'un autre pays européen. Les
chercheurs doivent pour cela avoir travaillé au moins deux ans en
mobilité. Ces primes peuvent atteindre un montant de 40.000 euros
servant à financer un projet scientifique précis au sein du nouveau
laboratoire d'accueil du chercheur. Elle ne doit en aucune façon
constituer un salaire pour le chercheur. Pour obtenir cette prime,
l'institution d'accueil et le chercheur doivent faire une demande
commune à la Commission dans le cadre des appels à proposition fixés
par cette dernière. Il est essentiel que la demande soit introduite
au moins six mois avant la fin du programme de mobilité du chercheur.
Si la demande est sélectionnée, la Commission signe avec
l'institution d'accueil un contrat aux termes duquel l'institut
s'engage à assurer une réintégration effective et durable du
chercheur pour une période d'au moins deux ans.
Les secondes, appelées primes de réintégration internationale (IRG :
International Reintegration Grants) fonctionnent selon le même
principe et les mêmes mécanismes que les primes de réintégration
européenne. La seule différence est qu'elles sont destinées à des
chercheurs qui séjournent depuis plus de cinq ans dans un pays tiers,
notamment aux Etats-Unis, au Japon etc. Le montant de cette prime
peut atteindre jusqu'à 80.000 euros.
Figurant parmi les nouveautés du volet « Ressources Humaines et
Mobilité » du 6ème Programme Cadre Recherche et Développement, les
primes de réintégration européennes et internationales ont fait
l'objet d'un premier appel à propositions dont la date limite était
fixée au 15 octobre 2003.
Les résultats de ce premier appel à propositions étant désormais
connus, il nous a paru intéressant d'effectuer une analyse de ces
premiers résultats afin de juger du taux de réussite des demandes et
du succès en général du programme. Les primes de réintégration
permettent-elles d'amorcer un « reverse brain drain » vers l'Europe ?
En d'autres termes, permettent-elles le retour de chercheurs
européens hautement qualifiés partis travailler à l'étranger ? Dans
un premier temps, nous examinerons les résultats des appels à
propositions concernant les primes de réintégration européenne (ERG)
puis dans un second temps ceux relatifs aux primes de réintégration
internationale (IRG).
I-Analyse des premiers résultats pour les primes de réintégration
européenne (ERG)
Dans le cadre de l'appel à proposition se clôturant le 15 octobre
2003, 53 propositions ont été reçues. Parmi ces propositions, 48 ont
été considérées comme satisfaisant aux critères d'éligibilité. Du 26
au 27 novembre 2003, elles ont fait l'objet d'une évaluation par un
comité de 21 experts, assisté par trois experts indépendants chargés
de surveiller la procédure.
L'évaluation s'est déroulée en plusieurs étapes. Tout d'abord, chaque
proposition a fait l'objet d'une évaluation individuelle par au moins
trois experts, qui ont examiné personnellement et séparément chaque
dossier. Une fois les évaluations individuelles réalisées, un
rapporteur nommé d'office est chargé de rédiger un projet de
« Rapport consensuel » ou « Consensus Report », résumant les opinions
des experts sur le dossier et cherchant à dégager un consensus. Au
cours d'une réunion plénière, le jury d'experts approuve les demandes
qui ne font aucune difficulté pour les experts individuels puis tente
de trouver un consensus pour les demandes ne faisant pas l'accord des
experts individuels. Parfois, un expert supplémentaire est invité à
rendre sa propre évaluation.
L'évaluation d'une demande s'effectue en attribuant pour chaque
critère un score qui figure sur une échelle allant de 1 à 5. Si pour
tous les critères, les seuils pré-établis sont franchis, la
proposition est acceptée dans la limite des financements disponibles.
Sur les 48 propositions considérées comme éligibles, 45 ont dépassé
les seuils établis, ce qui revient à 93.8% de réussite. Concernant
les questions de parité Hommes/Femmes, il faut souligner que 64,4 %
des propositions soumises émanaient de chercheurs de sexe masculin
contre 35,6 % de sexe féminin. Parmi les dossiers retenus,on compte 8
dossiers présentés par des femmes soit 17.7%. Le pourcentage de
femmes participantes (35.6%) est légèrement plus faible que
l'objectif qui avait été fixé par le Programme de Travail, qui était
de 40% . Il apparaît donc nécessaire de promouvoir encore davantage
la participation des femmes au programme de réintégration.
Les 48 propositions éligibles se répartissent selon les domaines
scientifiques suivants : les Sciences de la vie recueillent la
majorité des demandes de réintégration (21 demandes), puis viennent
la Physique (9), l'Environnement (6), l'Engineering (5), les Sciences
Sociales (3), la Chimie (2) et enfin les Mathématiques (2).
Parmi les dossiers de réintégration retenus, la répartition en Europe
entre les pays bénéficiant de la réintégration d'un chercheur se fait
comme le présente le graphique ci-dessous. L'Espagne obtient la
majorité des primes de réintégration européenne de chercheurs (13
primes au total). Les laboratoires français réintègrent 6 chercheurs,
l'Italie 5 chercheurs, les Pays-Bas et l'Allemagne respectivement 4
chercheurs. La Grèce, l'Autriche, le Portugal, la Finlande, la Suède
et le Royaume Uni n'en réintègrent qu'un seul. Les pays associés
(pays candidats à l'adhésion et Norvège, Suisse, Islande et Israël)
obtiennent quant à eux 6 retours financés.
Quelles premières analyses tirer de ces chiffres ?
Tout d'abord le premier constat qui mérite d'être établi est la
faiblesse du nombre de demandes de réintégration soumises lors de cet
appel à propositions. En effet, 53 propositions seulement ont été
formulées alors que le nombre de bourses Marie Curie attribuées pour
le 5ème PCRDT s'élève pour la période 1999-2002 à 4449 bourses
d'accueil et 2754 bourses individuelles.
Comment expliquer un nombre aussi faible de demandes ? Sans doute,
l'existence de ces primes de réintégration n'a pas été suffisamment
diffusée auprès des institutions et laboratoires d'accueil d'une part
et des chercheurs en mobilité d'autre part. Il paraît essentiel de
développer une grande campagne de communication pour promouvoir ce
programme de réintégration. Dans cette perspective, un portail de
mobilité des chercheurs va bientôt être installé aux Etats-Unis sur
le site de l'Ambassade de France, ce qui laisse espérer une meilleure
connaissance du programme par les chercheurs expatriés.
Le taux de réussite des demandes de primes est extrêmement élevé
(93.8%). Sans nul doute les chercheurs ayant présenté leurs dossiers
étaient hautement qualifiés, mais il est certain que le faible nombre
de demandes a facilité leur sélection. Ainsi les primes de
réintégration européenne semblent pouvoir être obtenues assez
facilement, les crédits alloués abondent et ne sont même pas
utilisés dans leur globalité ! En effet, en 2003, 20 millions d'euros
ont dû être redistribués sur d'autres actions Marie Curie.
Il faut diffuser le plus largement possible cette information au sein
de la communauté scientifique française établie sur le territoire
national et celle travaillant à l'étranger. C'est une opportunité à
ne pas manquer !
L'Espagne semble battre le rappel puisque ses laboratoires vont
bénéficier pour cet appel à proposition de 13 primes de réintégration
européenne. La France se situe en deuxième position en réintégrant 6
chercheurs. Ce chiffre est minime et insuffisant au regard du nombre
de primes que permet d'obtenir ce programme. Les primes de
réintégration sont des instruments très efficaces pour attirer des
chercheurs qualifiés ayant bénéficié d'une expérience à l'étranger.
Il est vital pour l'attractivité et le dynamisme de la recherche
française d'utiliser avec profit cet instrument.
II-Analyse des premiers résultats pour les primes de réintégration
internationale (IRG)
Dans le cadre de l'appel à proposition se clôturant le 15 octobre
2003, 25 demandes seulement de primes de réintégration internationale
(IRG) ont été soumises. Ce chiffre est extrêmement bas par rapport
aux attentes du programme et au budget qui lui a été alloué.
Parmi ces 25 propositions, 3 ont été déclarées inéligibles (12%).
Parmi les 22 propositions éligibles restantes, 21 ont été évaluées
positivement et financées, dont 4 de chercheurs de sexe féminin. Le
taux de succès s'élève donc à 95%, ce qui est encore plus élevé que
pour les primes de réintégration européenne (ERG). Parmi les 25
demandes, 23 candidats se trouvent actuellement aux USA, un au
Canada et un autre en Australie.
La procédure de sélection s'est déroulée selon des mécanismes
similaires à celle des primes de réintégration européenne avec un
jury de 33 experts indépendants.
Les demandes se répartissaient selon les domaines d'études suivants :
Sciences de la Vie (14), Physique (4), Engineering(4), Sciences
Sociales (2), Environnement (1).
Parmi les demandeurs on trouve 6 Espagnols, 5 Grecs, 3 Chypriotes, 2
Italiens et Lithuaniens, 1 Français. Le nombre excessivement faible
de demandes de primes de réintégration nationale (IRG) appelle
quelques commentaires. Les chercheurs partis travailler à l'étranger
ne semblent pas très intéressés par les primes de réintégration
offertes par la Commission dans le cadre du 6ème PCRDT. Certes ces
programmes de réintégration ne sont sans doute pas encore assez
connus auprès des chercheurs européens établis dans des pays tiers,
mais ce facteur ne peut pas tout expliquer.
Les primes de réintégration internationale (pouvant atteindre un
montant de 80 000 euros) sont-elles suffisantes pour attirer des
chercheurs établis aux Etats-Unis, où les salaires sont plus élevés ?
Par ailleurs, le fait que le chercheur doive prouver au moins cinq
ans d'expérience dans le pays tiers n'a t-il pas un effet négatif sur
le nombre de demandes de réintégration ? En effet, il est raisonnable
de penser qu'après 5 ans de recherche dans une institution à
l'étranger, le chercheur s'est habitué à son équipe de travail ainsi
qu'à son environnement en général. Il devient dès lors beaucoup plus
difficile de rentrer en Europe. La Commission se pose d'ailleurs la
question de savoir s'il ne faut pas ramener le délai de séjour dans
les pays tiers de cinq ans à trois ans pour augmenter le nombre de
candidats au retour.
Conclusion : Quel avenir pour les primes de réintégration ?
A la lumière des statistiques présentées ici pour les demandes de
réintégration européenne et internationale, force est de constater
que ces programmes ne connaissent pas pour l'instant un franc succès.
Les demandes ne font pas légion, qu'il s'agisse des réintégrations
européennes (ERG) ou encore plus des réintégrations internationales
(IRG).
Pour l'instant, les primes ERG et IRG ne produisent pas les résultats
escomptés et la majorité des chercheurs ne reviennent pas en Europe.
L'effet de « reverse brain drain » tant attendu par le programme ne
se produit pas. Les raisons sont multiples : manque de publicité et
de promotion des primes en Europe comme dans les pays tiers,
conditions d'éligibilité restrictives ( un minimum de 5 ans
d'expérience à l'étranger pour les primes de réintégration
internationale), montant des primes peut-être pas suffisant.
Quant à l'avenir des primes de réintégration, il est encore trop tôt
pour se prononcer. En effet, elles sont encore trop récentes pour
être connues de tous et le nombre de demandes peut augmenter dans les
prochaines années si l'information se diffuse bien. La mise en place
d'un portail de la mobilité en Europe et aux
Etats-Unis va probablement favoriser les échanges de données entre
institutions et chercheurs, ce qui manque cruellement à l'heure
actuelle. Quant aux primes de réintégration, elles devront faire
l'objet de réformes pour être plus adaptées aux attentes des
chercheurs et des institutions. En juin 2004, une révision du
programme de travail Ressources Humaines et Mobilité va être lancée,
ce qui laisse présager une réforme en profondeur des bourses de
réintégration. En attendant, le reverse brain drain n'est toujours
pas amorcé.
--
Dr.Francoise Praderie
Observatoire de Paris
61, Avenue de l'Observatoire
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Tel: 33 1 40 51 21 16
Fax: 33 1 40 51 20 02